Francis Bacon, Francophile

Francis Bacon considérait les Français comme les juges ultimes dans tous les domaines qui l’intéressaient. À ce titre, il a souvent admis que leur avis sur son travail était celui qui prévalait sur tous les autres. C’est à Paris que ce francophone et ardent francophile a incontestablement été le mieux reçu et le plus unanimement célébré.

La France est certainement le pays que je préfère de tous les pays que je connais.

Francis Bacon

Escaliers de la galerie Rosenberg en 1927 (photographe inconnu)
Escaliers de la galerie Rosenberg en 1927 (photographe inconnu)

1926-1929 Premiers séjours à Paris

En 1926, à l’âge de 16 ans, Francis Bacon s’enfuit du domicile familial pour se rendre à Paris, mais son aventure tourne court, ses parents le ramenant rapidement dans leur giron. Il séjourne une nouvelle fois à Paris au printemps 1927, lorsqu’il rencontre Yvonne Bocquentin, qui le prend sous son aile et lui offre une chambre dans sa maison près de Chantilly. Elle lui enseigne le français et l’introduit dans le milieu artistique parisien. En visitant une exposition à la galerie Paul Rosenberg, Bacon découvre le travail de Picasso, qui va jouer le rôle de « catalyseur » de sa vocation de peintre.

À l’automne 1927, il s’installe dans la capitale et séjourne à l’hôtel Delambre, à Montparnasse. À cette époque, ce quartier attire écrivains et artistes du monde entier. Bacon est également séduit par l’ambiance du quartier de Pigalle, où chacun peut laisser libre cours à ses instincts de façon plus « crue », et révéler sa nature profonde. À Paris, il se procure un certain nombre de revues françaises, telles que Documents, dirigée par Georges Bataille, Cahiers d’art ou Minotaure, qui suscitent immédiatement son intérêt. Il acquiert par ailleurs l’ouvrage médical de Ludwig Grünwald, intitulé Atlas-Manuel des maladies de la bouche, du pharynx et des fosses nasales, publié en 1903, et qui contient des illustrations, peintes à la main, de diverses pathologies de la bouche. Ce livre deviendra l’une de ses sources pour ses propres versions du cri humain.

Son expérience parisienne – entre stimulation intellectuelle, liberté sexuelle et découverte d’un certain « art de vivre à la française » – va marquer profondément le jeune Bacon, qui rentrera à Londres à la fin du printemps de l’année 1929.

7 Reece Mews. Photo : Perry Ogden MB Art Collection
7 Reece Mews. Photo : Perry Ogden MB Art Collection

1929-1992 | Le « quartier français » de Londres

Au printemps 1929, Francis Bacon rentre à Londres. Il s’installe à partir de janvier 1930 au 17 Queensberry Mews West, dans le quartier de South Kensington. Cet ancien garage devient son atelier et son lieu de vie jusqu’en 1931. Il s’y établit durant cette période comme créateur de mobilier et de tapis.

De la fin de l’année 1929 jusqu’à sa mort, l’artiste, lorsqu’il réside à Londres, vit principalement dans ce quartier de South Kensington, plus connu sous le nom de « quartier français ».

Dans les années 1930, la présence du consulat de France, du lycée français et de l’Institut français attire les expatriés dans ce quartier qui devient rapidement un petit coin de France, loin de la métropole. Bacon se sent chez lui dans cette enclave, avec ses cafés, ses boulangeries, ses restaurants, ses cinémas et ses librairies.

Son mythique atelier-appartement du 7 Reece Mews, qui sera son pied-à-terre londonien de 1961 jusqu’à la fin de ses jours, se trouve à deux pas de l’Institut français et du lycée français Charles de Gaulle.

Détail de l’article « Le style 1930 dans la décoration britannique » publié dans le magazine The Studio illustrant le travail de Bacon dans son atelier du 17 Queensberry Mews West.
Détail de l’article « Le style 1930 dans la décoration britannique » publié dans le magazine The Studio illustrant le travail de Bacon dans son atelier du 17 Queensberry Mews West.

1929-1933 | L’influence du design français

Francis Bacon vit au 17 Queensberry Mews West, dans le quartier londonien de South Kensington, de 1930 à 1931. Dans ce garage reconverti devenu son atelier, son showroom et son lieu de vie, il réalise ses premiers tableaux et fait ses débuts en tant que créateur de mobilier et de tapis, sans avoir suivi la moindre formation. En novembre 1930, il organise au 17 Queensberry Mews West une exposition de ses peintures et tapis aux côtés d’œuvres de Roy de Maistre et de Jean Shepeard. Ses diverses réalisations se trouvent alors influencées par le Bauhaus, notamment à la suite d’un bref séjour à Berlin en 1927, et par le travail des modernistes – tels que Charlotte Perriand, André Lurçat, Eileen Gray, Marcel Breuer, Pierre Chareau, Robert Mallet-Stevens ou Le Corbusier.

 

 

Carte postale de Monaco envoyée par Bacon à Denis Wirth-Miller en 1963. MB Art Collection
Carte postale de Monaco envoyée par Bacon à Denis Wirth-Miller en 1963. MB Art Collection

1935-1990 | Monaco

Comme il l’a indiqué lors d’une interview par David Sylvester en 1984, Francis Bacon semble s’être rendu en Principauté pour la première fois vers 1935. Quelques années plus tard, une lettre datée du 3 juin 1940 lui est envoyée à Monaco par sa cousine Diana Watson, qui l’informe du décès de son père.

En 1946, Bacon s’installe à Monaco aussitôt après avoir vendu Peinture 1946. La Principauté devient sa résidence principale du 5 juillet 1946 jusqu’au début des années 1950. Joueur chevronné, il succombe rapidement à une passion obsessionnelle pour le casino Belle Époque de Monte-Carlo, où il passe, selon ses dires et ceux de ses proches, des heures entières autour du tapis vert. Dans ses différentes correspondances, Bacon mentionne souvent le travail qu’il parvient à accomplir à Monaco, malgré les nombreuses distractions qui s’offrent à lui. Il y réalise d’ailleurs certains de ses plus beaux tableaux. Ces années-là ont représenté pour l’artiste l’émergence de grandes idées et ont été décisives dans la gestation de ses futures compositions.

L’artiste est séduit par l’atmosphère et le style de vie de Monte-Carlo ; il apprécie par ailleurs les paysages méditerranéens et les bienfaits de l’air marin pour son asthme. Bon vivant, il se délecte du meilleur de la cuisine et des vins français.

Toute sa vie, Francis Bacon ne cessera de se rendre de façon régulière à Monaco.

Bacon et Joseph Dean devant le Dean’s Bar (1957) Photo : Fred G. Mossman © Marlborough Fine Art MB Art Collection
Bacon et Joseph Dean devant le Dean’s Bar, 1957 Photo : Fred G. Mossman
© Marlborough Fine Art

De 1956 aux années 1990 Séjours à Tanger

De 1956 jusqu’au début des années 1960, Francis Bacon effectue de fréquents voyages à Tanger, au Maroc, pour rendre visite à son amant et « muse » Peter Lacy, qui s’y était installé en 1955, et qui y résidera jusqu’à son décès, en 1962.

Jusqu’à la fin des années 1950, Tanger se trouve être sous protectorat français. La ville offrant alors les avantages d’une zone franche internationale, elle attire fortement les artistes, les écrivains, les acteurs hollywoodiens, les spéculateurs et les trafiquants en tout genre, et suscite l’intérêt de la communauté homosexuelle.

Lors de ses séjours tangérois à la charnière des années 1950 et 1960, Bacon loge dans divers hôtels, dont l’hôtel Cecil, l’hôtel Rembrandt, la Villa Muniria et l’hôtel El Minzah ; il loue également plusieurs ateliers. Sur place, il rencontre les écrivains William S. Burroughs, Paul Bowles, Allen Ginsberg, et le jeune artiste Ahmed Yacoubi. Bacon trouve à Tanger une ville aux mœurs sexuelles libérées, ce qui n’est pas sans lui rappeler ses années de jeunesse à Berlin et à Paris. Le bar favori de l’artiste dans la ville marocaine fut le Dean’s Bar, un lieu qui attirait aussi bien l’élite que la pègre, et où Peter Lacy travaillait comme pianiste.

Francis Bacon se rend à Tanger à plusieurs reprises, avec ses amis proches et ses amants, jusque dans les années 1980.

Exposition Francis Bacon à la Galerie Rive Droite à Paris (février-mars 1957) © Galerie Rive Droite MB Art Collection
Exposition Francis Bacon à la Galerie Rive Droite à Paris, février-mars 1957
© Galerie Rive Droite

1957 | Galerie Rive Droite, Paris

La première exposition personnelle consacrée à Francis Bacon en France a lieu à la galerie Rive Droite, à Paris, du 12 février au 10 mars 1957. Organisée par Jean Larcade et Erica Brausen, elle rassemble vingt et un tableaux.

Roland Penrose, peintre surréaliste britannique, poète, cofondateur de l’Institute of Contemporary Arts, à Londres, rédige l’introduction du catalogue de l’exposition. Un essai de David Sylvester, l’une des meilleures plumes de la critique d’art anglaise de l’époque, figure également dans cette publication.

Aimé Maeght avec Francis Bacon, galerie Maeght, 1966, photo : Claude Gaspari © Galerie Maeght
Aimé Maeght avec Francis Bacon, galerie Maeght, 1966, photo : Claude Gaspari
© Galerie Maeght

1966 | Galerie Maeght, Paris

Du 15 novembre au 31 décembre 1966, la galerie Maeght, à Paris, organise une exposition consacrée aux œuvres de Francis Bacon. L’événement est un succès, et la réputation de l’artiste ne cesse alors de croître. Bacon assiste au vernissage, accompagné de George Dyer, Sonia Orwell, David Plante, Isabel Rawsthorne et Stephen Spender. La galerie publie pour l’occasion un numéro de la revue Derrière le miroir consacré au peintre, et préfacé par Michel Leiris.

Le triptyque monumental de Francis Bacon intitulé Trois Personnages dans une pièce (1964) est présenté lors de cette exposition ; il sera acquis par l’État français en 1968.

Francis Bacon avec Bernard Anthonioz et Jacques Duhamel au Grand Palais, à Paris, le 26 octobre 1971, photo : André Morain, MB Art Collection © André Morain
Francis Bacon avec Bernard Anthonioz et Jacques Duhamel au Grand Palais, à Paris, le 26 octobre 1971, photo : André Morain, MB Art Collection
© André Morain

1971 | Grand Palais, Paris

La rétrospective consacrée à l’œuvre de Francis Bacon au Grand Palais, qui se tient du 27 octobre 1971 jusqu’au 10 janvier 1972, marque sa consécration à Paris. Avec Picasso, il est alors l’un des rares artistes à bénéficier de son vivant d’un tel honneur. Le peintre britannique considère cette exposition, organisée dans sa ville de cœur, comme la plus importante de sa carrière. Au total, cent huit de ses œuvres y sont présentées, faisant entrer Bacon dans ce haut lieu de culture « par la grande porte ». En vue de cet événement, il réalise plus d’une vingtaine d’huiles sur toile, dont cinq grands triptyques. La rétrospective est un triomphe, néanmoins tragiquement entaché par la mort de son compagnon George Dyer à l’hôtel des Saints-Pères, deux jours avant le vernissage. Celui-ci se déroule en présence d’officiels français, de représentants de grandes institutions culturelles et de personnalités du monde de l’art, ainsi que des proches de Bacon. Michel Leiris et son amie de longue date Sonia Orwell organisent le dîner inaugural au Train Bleu. Parmi les invités figurent le ministre des Affaires culturelles Jacques Duhamel, l’écrivaine Marguerite Duras, le poète Jacques Dupin et l’artiste David Hockney.

Si les Français apprécient mon travail, alors j’aurai le sentiment d’avoir, d’une certaine façon, réussi.

Francis Bacon

Bacon in his rue de Birague studio (1979)
Photo and © Edward Quinn
MB Art Collection
Francis Bacon dans son atelier du 14 rue de Birague, à Paris, en 1979,
photo : Edward Quinn, MB Art Collection
© edwardquinn.com

1974-1987 | Un pied-à-terre à Paris

Après le succès de sa rétrospective au Grand Palais, en 1971, Francis Bacon commence à séjourner davantage dans la capitale française, qui devient vite son repaire. En 1974, il prend un atelier-appartement au 14, rue de Birague, dans le quartier historique du Marais, et ne cesse d’élargir son cercle d’amis, renforçant ses liens avec, entre autres, Michel Leiris et Jacques Dupin. Il rencontre également en 1975 l’historien de l’art Eddy Batache et son compagnon, le marchand d’art Reinhard Hassert, qui vont devenir deux de ses plus proches confidents. Durant les dix-huit dernières années de sa vie, Bacon réside régulièrement dans la Ville Lumière. Il réalise un ensemble d’œuvres dans son atelier-appartement, notamment une série de portraits et d’autoportraits. S’adressant à l’écrivain français Franck Maubert, il indique : « Je peins toujours à la lumière du jour. Et j’adore la lumière de Paris. Je la préfère à celle de Londres. »

Francis Bacon quitte son pied-à-terre parisien en 1987, mais continue à se rendre fréquemment à Paris jusqu’à la fin de sa vie.

Vernissage de l’exposition Francis Bacon au musée Cantini à Marseille (9 juillet 1976) © Archives du musée Cantini de Marseille, cliché reprographie municipale
Vernissage de l’exposition Francis Bacon au musée Cantini à Marseille, le 9 juillet 1976
© Archives du musée Cantini de Marseille, cliché reprographie municipale

1976 | Musée Cantini, Marseille

L’attirance de Francis Bacon pour Marseille, ville portuaire méditerranéenne et cosmopolite, remonte à l’époque de ses premiers voyages dans le sud de la France et à Monaco. Il trouve à Marseille une ambiance qui lui rappelle celle de Tanger.

Quelques années après le succès de sa rétrospective au Grand Palais, Bacon obtient sa première exposition française hors de Paris au musée Cantini, du 9 juillet au 30 septembre 1976. L’exposition est organisée sous le commissariat de Marielle Latour et sous le haut patronage de Gaston Defferre, maire de la ville et l’un des hommes politiques les plus influents à cette période en France. L’artiste y expose seize de ses dernières toiles, dont six grands triptyques. Le catalogue de l’exposition est préfacé par Gaston Defferre.

Francis Bacon, rue des Beaux-Arts à Paris (1977) Photo et © John Minihan MB Art Collection
Francis Bacon, devant la galerie Claude Bernard, rue des Beaux-Arts à Paris, en 1977, photo : John Minihan, MB Art Collection
© John Minihan

1977 | Galerie Claude Bernard, Paris

Du 19 janvier au 26 mars 1977, la galerie Claude Bernard, à Paris, présente vingt et une peintures récentes de Francis Bacon. Michel Leiris rédige pour l’occasion la préface du catalogue de l’exposition. Celle-ci devient l’une des préférées de Bacon en galeries commerciales. Le succès est tel qu’il conduit la police à boucler la rue des Beaux-Arts pour contenir la foule de visiteurs. Dès lors, Bacon est élevé par la presse parisienne au rang de légende vivante.

Francis Bacon à la Galerie Maeght-Lelong à Paris (1984) Photo et © Michel Nguyen MB Art Collection
Francis Bacon à la galerie Maeght-Lelong, à Paris, en 1984, photo : Michel Nguyen, MB Art Collection
© Michel Nguyen

1984-1987 | Galerie Maeght-Lelong et galerie Lelong, Paris

Au cours des années 1980, Francis Bacon se voit offrir deux expositions parisiennes qui feront date dans sa carrière : à la galerie Maeght-Lelong, en janvier 1984, et à la galerie Lelong, en septembre 1987. Le catalogue de l’exposition de 1984 inclut des textes de Jacques Dupin et de Michel Leiris ; un entretien avec David Sylvester vient compléter la publication.

Après la deuxième exposition du peintre à la galerie Lelong, les médias français parlent du « mythe Bacon », et le journal Le Monde publie en une un article couvrant l’événement.